Il semble que la discussion sur les suicides des adolescentes d’Ajaccio glisse vers la question du rôle d’internet dans ces passages à l’acte, comme je le craignais.
D’abord n’oublions pas la possibilité qu’offre internet de mentir. Tout n’est pas à prendre au pied de la lettre. L’affaire du canular sur un jeu vidéo qui aurait provoqué des suicides en série au Japon en est un exemple. Il montre que Antenne 2 s’est (trop) vite engouffrée dans la théorie d’une épidémie sur internet (disponible ici). Le japon a fait office d’écran sur lequel les journalistes d’Antenne 2 on projeté leur fantasme.
Mais, nombreux sont ceux qui n’en démordent pas. Si ce n’est pas au Japon, c’est sur internet et les blogs. L’internet serait dangereux. Ce qui compte, c’est de pouvoir localiser le danger ailleurs qu’en soi même ou dans sa propre famille.
L’attaque est directe dans l’article alarmiste du Figaro sur le blogs qui « favorisent les défis » (Agnès Leclair du 26 05 2007, Le Figaro.fr) ou par Claire Chazal sur TF1 malgré un reportage contradictoire. Ou plus « scientifique » pour Marie Choquet, épidémiologiste et chercheur à l'Inserm.: « Le suicide collectif risque néanmoins de se développer via les nouveaux moyens de communication comme les blogs sur Internet, craint-elle. « Ces blogs peuvent en effet faire croire que le suicide est facile, fréquent, et donner envie à d'autres adolescents en dépression de suivre cet exemple, surtout s'il y a un défi derrière. ». Pourtant, Choquet reconnaît qu’ils sont rares : « Les pactes de suicide entre adolescents ont toujours existé, mais restent rares ». Mais ce n’est pas grave, « c’est possible ».
Et que dire de la mise en cause d’internet par une association sponsorisée par la BNP. Que vient faire la BNP là dedans ?
Ces choses sont assez choquantes pour avoir scandalisé Thierry Crouzet, Jerome Colombain ou incité Michael Stora à qualifier ces propos « d’alarmistes ».
Le 28 mai 2007, nous apprenons plusieurs choses.
Premièrement, l’une des collégiennes était déjà suicidaire depuis plusieurs mois. Au point que ses camarades s’en sont alarmées sur son blog : « Zoé, toi la fille qui me manque le plus, toi la fille pour qui je m’inquiète, toi la fille à qui je demande de revenir le plus vite car sans toi la vie n’est plus la même. Ne me refais plus jamais de frayeur comme tu m’as fait car je ne veux pas te perdre pour des conneries ». Elles ont essayé d’utiliser l’internet pour l’en dissuader. Donc, non seulement l’internet n’a pas poussé la jeune fille au suicide, mais de plus, bien que ses camarades l’aient tenté, l’influence d’internet ne s’est malheureusement pas avérée assez puissante pour l’en empêcher. Ce qui place ces deux passages à l’acte très loin de la supposée vertu "contagieuse" des blogs et qu'on leur prête des pouvoirs sur-estimés.
Deuxièmement, la thèse d’un « jeu de défis morbides » est exclue. Le procureur l’a démentie et a "la conviction qu'il n'y a pas de réseau de pensée organisé" entre les deux adolescentes et leurs fréquentations, au sein du collège. Donc, pas de « jeu destructeur de trompe-la-mort, sur le mode du «t'es pas cap» qui existe dans toutes les cours de collège » et pas de « jeu mortifère », hypothèse imprudente avancée par Françoise Facy, épidémiologiste et directeur de recherche à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Pas de « conduites de risques » non plus.
Comme le préconise Lacan, il fallait se hâter de ne pas comprendre trop vite.
Il ne reste de pertinent que la notion de « concertation » avancée par le procureur (je ne crois pas faire de mauvais esprit en soulignant sa curieuse formule "double tentative concertée". Si la tentative était concertée, elle était forcément double. Par contre, si la tentative est double, elle n’est pas forcément concertée). Le 28 mai, l’expression est plus atténuée, la « concertation » devient un « effet d’entraînement » pour la troisième collégienne, là.
Pour Hefez, c’est une « folie à deux », plus trivialement, « elles se montent le bourrichon » (sic !), ou plus savant, un « effet d’entraînement » (Libération du 26 mai 2007).
Ou encore du « minétisme » pour Raynaud.
Enfin, Stora semble approcher des choses plus sérieuses quand il affirme : « Quand un ado fait une annonce de suicide sur son blog et, pire qu’il passe à l’acte, il y a là une dimension spectaculaire, une mise en scène, un besoin désespéré d’être reconnu dans son suicide, d’exister dans le regard des autres. A la limite - et c'est terrible, ces adolescents espèrent qu’on parlera de leur suicide dans les journaux ».
Alors, je crois que je vais continuer à m’inspirer de Lacan et de continuer à ne rien y comprendre tant que nous n’en saurons pas un peu plus sur la deuxième collégienne.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire