6/28/2007

Le travail chez Peugeot, Renault et Chinon : le lieu du suicide

Quand au suicide au travail, Annie Thébaud-Mony1 vient d’en appeler à la mobilisation !

Prenant les mesures de son analyse des suicides qui ont eu lieu chez Renault, chez Peugeot et à Chinon, elle souhaite une « alliance constituée de militants des mouvements sociaux, de scientifiques et de professionnels de la santé, de juristes et d’avocats, de journalistes et de documentaristes » pour « briser l’impunité des industriels et actionnaires responsables de nombre de dommages dans le monde ». Elle suggère aussi la création d’un tribunal pénal international du travail devant lequel traduire ceux qui « transforment le travail en un lieu de violence et de mort ». Ce faisant, elle promeut le droit à « l’intégrité » (de la personne, pas seulement du corps) contre laquelle personne ne peut porter atteinte.

Le recours récent de Renault contre le classement comme accident du travail du premier des trois suicides de salariés du Technoncentre de Guyancourt par la caisse d’assurance maladie des Hauts-de-Seine y contribue certainement. Las !

La démarche de la direction de Renault dénonce son refus : où irions-nous si une direction, si importante pour l’économie française, était condamnée ? Ghosn devrait alors revoir sa politique managériale ? On pourrait enfin se rendre compte de l’horreur que la productivité exerce sur les hommes ?

L’argumentaire de Thébaud-Mony est intéressant.

Elle commence bien sûr à rappeler les raisons pour lesquelles l’organisation du travail met les employés dans une impasse. Le recours à la sous-traitance déresponsabilise la direction au moment même où l’on demande aux cadres de réussir des objectifs qui leurs sont imposés et sur lesquels ils n’ont aucun pouvoir.

Une analyse déjà énoncée en 1995 pour Chinon, (8 suicides cette année-là), et même bien avant par Valeri Legassov pour Tchernobyl : il critiquait la carence de gestion de la sûreté due en particulier à trois choses. La violation des règles de protection au nom de la productivité, le manque d’esprit critique des ingénieurs et l’impréparation du personnel en cas d’accident grave. Et bien ces critiques sont très proches de celles qui peuvent être faites à l’encontre de Chinon où règne la « gestion de l’emploi par la dose », suggère Thébaud-Mony.

Puis, Thébaud-Mony en vient à la dimension juridique de la question du suicide au travail. Il y a deux plans : le civil et le pénal.

Pour le civil, c’est l’article L 411.1 du code de la santé publique qui prévaut. C’est à ce niveau que se situe la procédure en cours chez Renault2. Car il y a une impasse : l’organisation du travail elle-même. La sous-traitance sépare le lieu de la direction du travailleur du lieu de travail. Le système de la sous-traitance permettrait justement à la direction de se soustraire au L 411.1 !

Pour le pénal, Thébaud-Mony allègue la possibilité de recourir à l’article 223-13 du code pénal3. Ce qui devrait se traduire par une mise en examen des responsables.

Voilà comment Thébaud-Mony explique la tendance des employeurs à affirmer qu’ils n’y sont pour rien dans cette vague de suicide.

Pourtant, ces employeurs ne devraient-il pas être tenus d’en apporter la preuve devant la justice, alors que dans le cas du code de la santé publique, c’est à la victime ou à l’entourage d’apporter cette preuve ?

Pour la psychanalyse, ces questions d’organisation du travail paraissent légèrement hors sujet. Car jusqu’à maintenant, il manque les témoignages des concernés. C’est-à-dire qui ne se contentent pas de généralités et qui permettent de se faire une idée plus précise de l’enjeu tel qui s’énonce pour le sujet.

1- sociologue, directrice de recherche à l’INSERM, « Le travail, lieu de violence et de mort », Le monde diplomatique, juillet 2007

2- L’article L411.1 qualifie « [d’]accident du travail quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre que ce soit pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

3- L’article 223-13 du CP institue le crime de « provoquer au suicide » : « le fait de provoquer au suicide d’autrui est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une tentative de suicide ».

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