11/28/2006

La religion comme pousse au suicide

Patrick Declecrq nous rappelle une chose qui n’est pas si souvent évoquée. Que le monde des croyants est traversé par le mortifère. Ce spectre s’étend « du simple jeûne à l'auto-immolation, en passant par les mutilations sexuelles ». Le délire religieux est toxique et fou pour le croyant. Il l’emporte vers sa destruction.

L’originalité de Declercq est de penser que le blasphème, « à propos duquel il faut d'ailleurs rappeler la notion logique et théologique élémentaire qu'il ne concerne stricto sensu que le croyant lui-même », serait un moyen de lutter contre la pente destructrice de la religion.

Je vous reproduis l’article de Declerck ci-dessous.

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Du blasphème comme nécessité, par Patrick Declerck

LE MONDE | 24.11.06

A propos de l'affaire Robert Redeker, professeur de philosophie menacé de mort après avoir osé critiquer l'islam dans une tribune parue dans Le Figaro, Renaud Donnedieu de Vabres, successeur d'André Malraux au ministère de la culture s'est, le 20 novembre, cru obligé de rappeler "le devoir de responsabilité aux élites". "La science, précisait le ministre, peut aussi être mise au service de l'intelligence, pas de la caricature." Et tout en trouvant évidemment "honteux" que M. Redeker ait été menacé de mort, il a reproché à la tribune signée par ce dernier de ne pas être "sophistiquée"...

Je ne sais trop ce que le ministre de la culture entend par les "élites". Je sais encore moins, au vu de ses propos chattemites, ce qu'il veut dire au juste par "devoir de responsabilité". Ce que je sais, en revanche, c'est qu'après Nietzsche et Freud il est difficile à. un lettré de considérer autrement le fait religieux que comme une béquille métaphysique à l'usage des esprits épuisés que l'inéluctabilité de la mort et l'horreur de la corruption des corps effraient au-delà de ce que leur faiblesse peut supporter.

Cette terreur les conduit alors à se bricoler pauvrement des arrière-mondes consolateurs des misères d'ici-bas, un ici-bas dévalué au profit de promesses eschatologiques de rédemption post-mortem. Monnaie de singe avec laquelle les prêtres et la divinité récompensent les comportements dits "moraux", dont la toxicité et la folie se déclinent du simple jeûne à l'auto-immolation, en passant par les mutilations sexuelles. Les religions, toutes les religions, sont ainsi des délires de l'humanité et, comme le démontrent ad nauseam l'histoire et l'actualité, des délires dangereux.

Non seulement on ne voit pas en quoi il serait "responsable" de taire une telle position critique, mais il apparaît au contraire que le devoir le plus élémentaire est de lutter contre ces entreprises d'essence mortifère que sont les religions. Non seulement il ne leur est dû aucun respect intellectuel et éthique au-delà du cadre légal de l'exercice de la liberté de culte, mais encore convient-il de les combattre philosophiquement en en dénonçant, chaque fois que faire se peut, l'imbécillité, la fausseté, la dangerosité, l'escroquerie, et le grotesque profond. Ridiculiser la religion est une vertu. Le blasphème, à propos duquel il faut d'ailleurs rappeler la notion logique et théologique élémentaire qu'il ne concerne stricto sensu que le croyant lui-même, le blasphème est, plus que jamais, non seulement excusable, mais nécessaire. Il doit être clairement et hautement revendiqué en tant que droit.

Par ailleurs, si le fait religieux peut en toute légitimité être objet d'anthropologie, de sociologie ou d'histoire, "la science" - même dans la version précautionneusement désincarnée et châtrée à laquelle semble rêvasser le ministre de la culture -, confrontée à la réalité objective des contenus de croyances telles, par exemple, la résurrection d'un crucifié, l'exigence de l'ablation du prépuce comme signe de reconnaissance divine ou l'efficacité de la lapidation de Satan à La Mecque, "la science" n'a pas fini de rigoler...

Quant à la "sophistication" réclamée par M. Donnedieu de Vabres et ses émules, elle n'est que le masque de la litote. Une litote méprisable parce que lâche. A ces humanistes d'un nouveau Munich (accords entre Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler, le 30 septembre 1938, qui ont permis l'invasion allemande de la Tchécoslovaquie), à ces bradeurs de cinq siècles de luttes occidentales pour se débarrasser enfin de l'étouffante étreinte de la peste chrétienne, à ces Daladier de l'insidieuse banalisation de l'inacceptable, à ces colporteurs du gnangnan orientaliste, rappelons que parmi la communauté musulmane néerlandaise, à l'atroce nouvelle de l'assassinat de Theo Van Gogh, ils furent à peine 200 à crier leur indignation à La Haye, le 6 novembre 2004. L'immense majorité des 900 000 autres musulmans, terrassés, il faut croire, par une indicible émotion, restèrent chez eux...

J'ai déjà eu l'occasion de dire dans ces colonnes ma détestation de l'islam en particulier et des autres monothéismes en général. Je persiste et signe.


Patrick Declerck est membre de la Société psychanalytique de Paris et écrivain.

Article paru dans l'édition du 25.11.06

2 commentaires:

Anonyme a dit…

On a décidément une certaine facilité à oublier que nombre d'actions humanitaires sont poussées par la foi de ceux qui les réalisent (Soeur Emmanuelle, etc. Mais simplement : le week-end dernier la collecte nationale de denrées alimentaires en France). Donc bien sûr on peut conclure à une schizophrénie des croyants. Mais peut-être les philosophes et lettrés (puisqu'il paraît que depuis Nietzsche tout lettré ne peut considérer la religion que comme une béquille, comme si tout un chacun ne pouvait être que nietzschéen, alors même que Nietzsche aurait récusé d'avoir une école, lui qui incarne le relativisme moral et intellectuel absolu...) pourraient parallèlement se demander s'ils comprennent bien le contenu du message véhiculé par les religions. Sans oublier cette phrase de Romain Gary : "Une idée n'est jamais responsable de ce qui en est fait".

Psychanalyse du suicide quotidien a dit…

vous avez raison. Il y a la foi, la croyance d'un côté et l'idée de l'autre. Ce que j'ai aimmé dans cet article de Declerk, c'est que la foi peut tourner à la certitude, puis la conviction dont le terme est délirant.
Mais, vous le soulignez, il y a un monde l'idée et la croyance à l'idée.
Merci pour vos références.