Le suicide de Virginia Woolf est assez intéressant. Cet auteur a écrit « Mrs Dalloway[1] » dans lequel il y a la possibilité d’en approcher les motifs. Et aussi, ses Lettres ou son Journal, et enfin, la somme biographique d’Hermione Lee[2] et les nombreux témoignages qu’il contient.
V. Woolf nous apprend plus que n’importe quel manuel de suicidologie ! C’est l’avance des écrivains sur les psys de toute nature que Freud nous a sans cesse rappelé.
Elisabeth Poulet vient de publier en ligne un extrait de son étude de « Mrs Dalloway », lire.
Celle-ci remarque judicieusement l’importance de la construction du texte. Il y a un parallèle entre le personnage principal, Clarissa et celui de Septimus. C’est un « parallélisme structurel ».
Le miroir inversé
Ainsi, E. Poulet montre que tous les deux, sont des personnages assis sur un divan. Septimus épouse les mouvements des branches d’arbre, Clarissa ceux de ce qui se trouve autour d’elle. Tous les deux, ils utilisent des métaphores « conjoignant le végétal et l’igné ». La même chanson de Shakespeare revient « tel un leitmotiv » à la fois chez Clarissa et chez Septimus. Tous les deux ont perdu un être cher. Tous les deux pensent que la mort est une « promesse ».
Et E. Poulet de conclure qu’ils incarnent « deux aspects identificatoires de Virginia Woolf ». Ils sont en miroir.
Un miroir inversé comme le note aussi E. Poulet.
La notion de miroir étant chère aux lacaniens. Elle est pour ainsi dire la marque de la division du sujet.
En effet, E. Poulet écrit : « la scène où Clarissa voit une vieille femme monter l’escalier en face de chez elle est reprise et inversée lorsque Septimus est vu par un vieil homme, en face de chez lui, en train de descendre l’escalier ». Septimus, c’est l’inverse de Clarissa.
Mais, là s’arrête la ressemblance.
Septimus se suicide, pas Clarisse. Septimus passe à l’acte, Clarissa le suspend : « Il fallait qu’elle aille rejoindre ses invités. Il fallait qu’elle aille retrouver Sally et Peter. Et elle émergea du petit salon ».
C’est toute la différence.
Mrs Dalloway raconte qu’ « une fois, elle avait jeté un shilling dans la Serpentine », elle compare ainsi sa modeste offrande au suicide de Septimus. Clarissa jette une pièce, Septimus jette son corps. Deux actes, deux effets !
Ceci dit, avec son « nouveau langage fictionnel », V. Woolf fait parler Septimus de la mort, ce qui permet « de mettre en pleine lumière l’un des aspects de son moi ». Septimus porte la voix de V. Woolf. Elle a choisi de « sacrifier un personnage pour en sauver un autre ».
Septimus est intimement persuadé que son ami décédé, Evans, cherche à lui parler. « La communication, c’est la santé ; la communication, c’est le bonheur » (…) « La mort était un défi. La mort était un effort pour communiquer. Les gens sentaient l’impossibilité d’atteindre ce centre qui, mystérieusement, leur échappait ; la proximité devenait séparation ; l’extase passait, on était seul. Il y avait dans la mort une étreinte ».
La mort est une « promesse »
Elle permet « la fusion de deux êtres au sein d’un temps qui ne changera plus ». (…) « C’était la mort. Ce n’était rien. Elle avait cessé de respirer, voilà tout. C’était le bonheur parfait. Ils venaient d’obtenir ce qu’ils avaient toujours souhaité - l’union qu’ils n’avaient pu réaliser quand ils étaient en vie. (...). Il lui sembla que de leur fusion absolue et de leur bonheur émanaient des cercles qui allaient s’élargissant, qui emplissaient l’espace. Aucun de ses désirs les plus vastes ne restait inexaucé. Ils possédaient ce qui jamais plus ne leur serait repris » (…) « Il y avait une chose qui comptait ; une chose qui, dans sa vie à elle, se trouvait camouflée par les vains bavardages, déformée, obscurcie, une chose qui se perdait tous les jours dans la corruption, les mensonges, les vains bavardages. Lui l’avait préservée. (...). En un sens c’était son échec à elle, sa honte. C’était sa punition de voir plonger et disparaître, ici un homme, là une femme, dans ces aveugles ténèbres, tandis qu’elle était forcée de rester là, en robe du soir. Elle avait manqué de droiture, d’honnêteté ».
Comme E. Poulet nous le fait comprendre, la mort est ici idéalisée. C’est le moyen d’atteindre « le centre d’une communication impossible » dont le résultat est supposé extatique en une « fusion », une « étreinte » qui permet de « posséder ce qui jamais plus ne leur sera repris »…
Pour V. Woolf, le suicide serait-il le moyen d’effacer la perte de l’aimé ?
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