La mort du peintre Giovanni Segantini est assez étrange. Pour Abraham, cela ne fait aucun doute : il s’agit d’un suicide pour des motifs inconscients (lire l’article d’Abraham).
Un suicide inconscient ? Passer à l’acte sans motif apparent ?
Ne serait-ce pas pour cela que nombre de ceux qui sont passé à l’acte ont beaucoup de mal à reconnaître qu’ils avaient le désir de mourir ? Même longtemps après-coup ?
Cela ne donnerait-il pas une explication au fait que l’entourage ne se rend souvent même pas compte qu’il s’agissait d’un suicide ? Comme dans le cas de Segantini pour l’étude duquel, dès 1909, Abraham se déclare à Freud « captivé [1] ».
Ce peintre est l’inventeur de la décomposition spectrale de la lumière en peinture, voir. Il est considéré sur ce point comme encore inégalé. Mais, il est aussi l’auteur de toiles étranges qui ont certainement contribuées à captiver Abraham, voir. Un thème qui reste actuel avec Abdel Abdessemed par exemple.
Comme l’ont dispose de son journal et de ses lettres, il est possible de se faire une idée de ce qui a pu le pousser vers la mort.
Quels sont les faits ?
Segantini avait l’habitude de se rendre dans les hauteurs des montagnes (2700 m) où il vivait et où il peignait. Peu avant sa mort, il s’y rendait plus souvent. Au mépris de sa santé et du froid. Il lui arrivait de peindre dehors, son matériel sous la main, mais sans précaution particulière ou même parfois insuffisamment habillé, assis dans la neige. Un an avant sa mort, il s’était égaré « au cours d’une promenade en hiver, s’était laissé tomber épuisé dans la neige, et s’était endormi. Il serait sûrement mort de froid si au moment du danger ne l’avait pas appelé une voix, qu’il reconnut comme celle de sa mère [2] ».
En septembre 1899, « dans la nuit, Segantini se leva et malgré sa fièvre sortit à plusieurs reprises, à peine vêtu, dans la tempête de neige. Le lendemain, il se traîna vers son tableau, qui avait été dressé tout prés du chalet, et tenta de travailler. Il s’endormit de faiblesse; on l’éveilla et on eut grand-peine à le ramener à la maison complètement épuisé, il s’alita mais, il refusa qu’on appelle un médecin, alors que le plus proche, le Dr Bernard de Samaden, était lié à lui par une amitié personnelle ». Quand ce médecin monte le voir quelques jours après, il n’y avait plus rien à faire.
Segantini en était inconscient : « Il ne semble pas que l’agonisant, au chevet duquel sa famille s’était rassemblée, ait pris conscience du danger qui le menaçait ; au contraire, il était par moments d’humeur à plaisanter. Une fois encore, le ciel s’éclaircit devant lui. Il demande qu’on approche son lit de la petite fenêtre: « Voglio vedere le mie montagne », telles furent les dernières paroles qui exprimaient sa nostalgie. « Il était allongé, le regard fixé sur la chaîne de montagnes qu’il avait face à lui, celle même qu’il avait voulu terminer de peindre. Mais ce regard ne traduisait pas de mélancolique adieu; il était chargé de toute l’avidité du peintre et de l’amoureux: il absorbait couleurs, formes, lumière et lignes, car il complait atteindre par elles sommet de l’art (Servaes) ».
Mais, Segantini n’était pas sans idée de la mort. En fait, toute son existence était marquée sous le sceau de la mort. Seule l’idée de se donner lui-même la mort lui échappait. La vie de Segantini n’a-t-elle pas été une longue marche vers son fantasme de mort ?
Nous allons voir comment.
A suivre.
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