4/22/2007

Cho Seung-hui : tuerie, suicide ou écriture ?

Lors de mon premier commentaire sur les crimes de Cho Sueng-Hi achevés en suicide, j’étais très intrigué par deux détails.

Il a expédié son dossier multimédia en les signant de « A. Ishmael » et il s’est tatoué l’avant-bras au sang les mots : « Ismail Ax». Cho avait gagné le surnom du « gars au point d’interrogation », pour avoir une fois inscrit un point d’interrogation à la place de son nom sur une feuille de présence.

Pourquoi ?

Jonathan Littell fait remarquer deux choses : Cho a tenté d’écrire ce qu’il allait faire et il est passé à l’acte quand sa littérature « lui a été refusée ».

D’abord, il n’est pas vrai comme le prétend Littell que Cho n’a pas été entendu. Il avait prévenu ses camarades, ses professeurs l’avaient compris et s’en étaient inquiété. Leur erreur a été de s’adresser à une police qui, elle, n’y a pas cru.

Ensuite, l’écriture dans la psychose est, malheureusement, un classique : Schreber, Wagner, etc…. Le paranoïaque veut se faire entendre. Il faut le prendre au sérieux et ne pas attendre ses actes pour cela. Cho nous le prouve.

La question est de savoir quel rôle joue l’écrit dans la psychose. En ce qui le concerne, il faudrait peut-être réfléchir un peu plus au statut de ses écrits. Ne pas conclure trop vite comme le fait Littell.

Comme le souligne Gérard Lefort, la « sentence » de Cho était au passé. Lors de la vidéo où il se montre souriant, en assenant : « je l’ai fait ». Il en a joué et cela participe au succès de la diffusion de ses textes sur le net. Cela souligne un décalage entre l’étudiant Cho et le personnage de Cho sur la vidéo. Ce ne sont pas les mêmes, ils ne disent pas la même chose du même lieu, au même moment. Peut-être enfin que l’interlocuteur de Cho n’était ni ses camarades, ni ses professeurs, ni la presse américaine ?

Comme le souligne Dana Hilliot, le procédé de Cho écrase toute histoire possible. C’est-à-dire que les actes ont précédé la possibilité d’une parole.

Cho le savait. C’est peut-être conscient de cela qu’il signe d’un point d’interrogation. Une interrogation qui porte sur le sujet de l’écriture. Qui peut donc écrire des choses pareilles ? Cho se le demandait.

Alors, Ismael ?

Kesako ?

Ces mots prouvent que ce n’était pas vraiment l’écriture ou le suicide comme le souligne Littell. Les mots d’Ismael le montrent, c’était plutôt l’écriture et les meurtres et le suicide. Car Cho a continué à écrire sous la forme de ce stigmate et cela ne l’a pas empêché d’agir.

La racine de ce prénom en Hébreu donne : ישׁמעאל, išma`e’l, "Dieu a entendu ma demande" !

A ce stade, on ne peut que faire des suppositions. On peut juste se dire que l’inscription d’Ismael ressemble à une signature. Ismael, tireur d’arc dans la Génèse, parait être le signe d’une discussion divine. Je crois en définitive que l’histoire n’est pas dans le fait divers à l’état brut. En effet, aucune histoire possible de ce point de vue. Cette histoire se trouve plutôt dans les inscriptions sur les bras de Cho. Mais nous ne savons pas la déchiffrer.

Il aurait fallut que Cho en écrive plus encore pour que cette marque puisse se mettre à parler.

Ci-dessous, un extrait du texte Littell dans Le monde.

« Ils le disent explicitement : dès qu'on l'a lu, on a su (soupçonné) que c'était un tueur (potentiel) ; il ne vient à l'esprit de personne que c'est peut-être devenu un tueur parce que personne n'a su le lire. Nous ne pouvons pas spéculer, avec si peu d'éléments, sur ce qui habitait Cho Seung-hui, sur ce qui est venu faire écran entre le monde et lui. Mais ce fait me semble important : avant d'acheter des armes, Cho Seung-hui a tenté d'écrire, de mettre en scène, devant ses pairs, des éléments de son désarroi.

On a jugé, on juge toujours, que cette tentative relevait davantage de la psychiatrie, voire de la police, que de la littérature - qui pourtant, depuis qu'elle est, ne fait que dire ce qui ne peut être dit autrement. Ce n'est que quand elle lui a été refusée (s'est refusée à lui, aussi ; et lui-même s'est laissé opposer ce refus) qu'il est passé à l'acte.

Et lorsqu'il s'est mis à tuer, c'est en silence qu'il l'a fait ».

Jonathan Littell

Article paru dans l'édition du 22.04.07

Le Monde

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