6/04/2007

Propagande TCC aux urgences auprès des suicidaires

Dans un article des Annales Médico-psychologiques, les Dr Rangaraj et Pelissolo font leur publicité pour les thérapies cognitivo-comportementales appliquées au suicide dans le cadre des urgences hospitalières.

Publicité ? Et oui !

Pourquoi ?

Quand un psychiatre ou un psychologue est appelé à voir une personne qui vient de se suicider et qui se trouve aux urgences d’un hôpital, il se pose plusieurs questions nécessaires à son travail. La première chose est de donner son avis sur la nécessité ou non de prolonger l’hospitalisation. Cet avis aidera les autres médecins à décider de laisser sortir de l’hôpital celui qui vient de passer à l’acte ou à organiser un transfert dans un service de psychiatrie. Ce point est crucial pour la suite des soins à délivrer au patient.

Tout d’abord, cette tâche est ardue. Il y a une grande impatience de la part des médecins de l’équipe hospitalière (ce sont des urgences, il faut aller vite, n’est-ce pas !). Cette impatience est redoublée fréquemment par celle de l’entourage qui peut être plongé dans une grande perplexité après l’énigme que soulève l’acte suicidaire. Enfin, une personne qui vient de se suicider souhaite souvent rentrer chez lui au plus vite. Son acte lui parait souvent énigmatique et il cherche la plupart du temps à le refouler. Rien qui ne l’encourage à en parler à un psy.

Le psy, sauf dans des cas exceptionnels, n’a jamais vu le patient avant. Il débarque et il part de zéro. Cela lui complique la tâche, il doit faire connaissance, un minimum. Il y a comme une sorte de coup de poker à jouer avec le patient. Ca passe ou ça casse. Le patient a confiance immédiatement sans que le psy sache trop pourquoi. Ou alors il reste réticent et sera en retrait sur les informations qu’il acceptera de communiquer au psy.

Mais ce patient a-t-il tendance à se confier ? Déjà, en ville, dans la rue, aux amis ou à n’importe qui, personne n’a vraiment tendance à livrer ses pensées intimes et raconter sa vie de long en large. Il lui faut un minimum de confiance en l’autre. Il en faut plus pour passer la barrière des apparences. En consultation, nombreux sont ceux qui m’ont expliqué que telle ou telle chose, ils ne l’ont jamais dite à leur médecin généraliste bien qu’ils connaissent ce dernier depuis des années et qu’ils ont totalement confiance en lui… La confiance se gagne et parfois, elle se construit activement. Alors à l’hôpital, dans une situation précipitée, la confiance envers un psy inconnu ne va pas de soi. Les obstacles se multiplient pour établir un climat propice aux confidences.

C’est pour cela que le psy doit se soumettre à un impératif. Annoncer à son patient qu’il est capable de tout entendre, qu’il en a déjà entendu beaucoup et que surtout cela restera entre eux. Si le psy ne s’y tient pas, s’il parait prendre partie pour l’entourage contre lui, le patient n’acceptera jamais de se confier.

Ce bref exposé des conditions dans lesquelles le psy intervient aux urgences de l’hôpital vous permettra peut-être de comprendre pourquoi l’article cité plus haut me révulse.

Dans cet article, il est prétendu que les TCC permettent « d’inciter » (le patient) à « solliciter l’aide d’un thérapeute » et de « restaurer l’alliance thérapeutique ». En langage clair, sans langue de bois, cela veut dire que les TCC facilitent la confiance du patient. C’est faux !

Que le psy soit grand ou petit, qu’il aime Proust ou Kafka, n’est pas un gage, cela ne permet pas de penser à l’avance que le contact pourra s’instaurer avec le patient. Ce n’est pas telle ou telle orientation du psy qui compte en la matière.

Quand on parle de cela, quand on demande aux personnes qui viennent vous voir pourquoi ils vous ont choisi, il est facile de se rendre compte que cela échappe totalement au psy en question. L’un est venu car il ne se sent en confiance qu’avec un homme plus âgé que lui, l’autre parce qu’il a appris que vous avez un chat, l’autre encore parce que votre nom de famille lui rappelle sa tante décédée, etc… Rien que le psy puisse organiser à l’avance ni prévoir, surtout quand il rencontre quelqu’un pour la première fois.

Dans l’article en question, les auteurs prétendent produire un travail avec le patient qui en réalité n’est pas spécifique des TCC.

« Répondre au patient », « observer le patient », voir comment il évolue en hospitalisation (les fameuses « taches d’exposition », une expression obscure de la TCC pour désigner en réalité l’ensemble des choses que le psy demande à son patient), « l’évaluation » de l’entourage, la possibilité de multiplier les échanges en un temps très court, la construction d’un « projet thérapeutique », etc… Tous ces éléments quotidiens de la pratique du psy aux urgences ne dépendent d’aucune orientation particulière en psychothérapie. Ils sont d’ailleurs nécessaires pour la pratique de la psy en dehors des urgences. C’est le minimum requis par les patients. Les auteurs enfoncent des portes ouvertes et prétendent à une spécificité qu’ils n’ont pas.

Par contre, ce qui est pour le moins bizarre et même tendancieux, c’est que les urgences soient considérées comme un lieu de propagande. En effet, le dernier objectif de la TCC auprès des suicidaires, last but no least, serait le suivant, je vous laisse en juger : « faire connaître les TCC » !

Ayant terminé la lecture de cet article, je me suis alors dit que la seule spécificité de la TCC auprès des personnes qui veulent se suicider est donc de demander : connaissez-vous les TCC ?

C’est comme si je m’adressais, hilare, à une veuve en larmes pour lui demander : aimez-vous les fraises ?

Il y a là une sorte de grossièreté obscène.

Si je résume. Les auteurs pratiquent avec des objectifs que les psychiatres et les psychologues d’autres orientations utilisent aussi aux urgences ou ailleurs. Ce n’est donc pas ces éléments qui font la différence. La spécificité des TCC se résume à « faire connaître les TCC ». Les TCC ne seraient spécifiques que par leur autopromotion. Il suffirait de dire « TCC » et l’envie de suicide s’envolerait comme par enchantement ?

Ce qui est remarquable, c’est que les auteurs prétendent définir des choses nouvelles en clinique. Leur discours semble vouloir effacer à coup de déclarations optimistes, voire utopiques pour le suicide, les pratiques de leurs collègues. Je pense que cet effacement est celui de la clinique et de l’histoire de psychiatrie et de la psychologie. Cette démarche consiste en vouloir faire du vieux en annonçant faire du neuf En effet, remarquons que les auteurs ne s’appuient pas sur un effort de définition du suicide, de ce qui le cause, de ce qui l’accentue, de ce qu’il peut vouloir signifier, de ce que l’on peut déjà savoir sur la théorie du passage à l’acte suicidaire, etc…

Un effacement de la clinique symptomatique et contre lequel nombreux sont ceux qui luttent.

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