12/21/2006

La parole donnée en échange du suicide, Esquirol

Jacques Louys nous indique quelques textes d’Esquirol. Très tôt, Esquirol a distingué le suicide de la maladie. Il pensait que le suicide ne peut se réduire à une maladie psychiatrique. Que tous les suicides ne s’expliquent pas par la notion de maladie mentale. Il pensait que le suicide n’est pas une monomanie. Que le suicide n’est pas une folie !

Ses observations, courtes, sont très synthétiques. Sans y prendre garde, on ne se sent rend pas compte que ce sont des commentaires après des années de recul sur le personne dont il parle. Elles sont très lisibles. Peut-être parce que Esquirol évacue le style conceptuel pour privilégier le discours du patient.

Le texte sur le général M. vaut un petit détour.

M. était un général de Napoléon. Avant de décompenser, il « appréhendait qu’on ne lui rendit pas justice ». Après son mariage, la visite d’un ami déclenche sa jalousie délirante. Le général M. soupçonne sa femme, même après le départ de cet ami. Il devient interprétatif. Il « voit partout son ami devenu son rival, il le croit couché avec sa femme pendant que lui-même est à côté d’elle ». Il interprète les bruits comme « autant d’avertissements ». Les cris sont des accusations : « lâche, lâche, piou, piou… ». Ses ennemis voient et entendent à travers les murs. On plaisante de lui. Après des années de traitement de toute sorte, rien ne triomphera de sa passion jalouse.

Le général M. ne supporte pas l’idée de cette lâcheté dont on l’accuse. Il veut « y mettre fin en se tuant ». Las ! Le général M. demande à un ami de l’achever avec de l’opium.

La rencontre avec Esquirol est remarquable ! Le général M. prend d’abord Esquirol pour un peintre chargé de faire « son portrait qui doit être livré au public et vendu comme le portrait d’un criminel ».

Esquirol obtient la parole d’honneur militaire du général :

« Après une heure d’entretien, nous gardons le silence, pendant lequel mes yeux restent fixés sur ceux du malade. Après quelques instants : « Général, lui dis-je, vous voulez vous tuer, et au défaut d’autre moyen, vous voulez conserver votre cravate ; vous ne vous tuerez pas ; je vous guérirai et je vous rendrai au bonheur et à votre famille.... »

« Au bonheur ! s’écria-t’il, il n’y a plus de bonheur pour moi ».

« Pardonnez moi, Général, je vous rendrai au bonheur, je veux m’assurer que vous n’attenterez pas à vos jours ; quatre domestiques vont rester dans votre chambre et vous veiller, ou bien, donnez-moi votre parole d’honneur que vous ne ferez pas de tentatives. Choisissez, je préfère votre parole... »

« Je vous la donne, me dit-il d’une voix affaiblie... »

« Il me faut votre parole d’honneur franche et militaire»

Après quelques minutes d’hésitation : « Eh bien, monsieur, je vous donne ma parole d’honneur militaire. » Je me retirai, laissant au malade sa cravate. Le lendemain, je me rends auprès de lui, je le félicite d’avoir résisté à son funeste dessein, je l’encourage et m’efforce de gagner sa confiance. Dans le cours de notre entretien, le malade m’a dit que plus de vingt fois il avait pris sa cravate pour s’étrangler, et que sa parole d’honneur l’avait retenu ».

Si le général se montre encore souvent jaloux, persécuté et interprétatif, il ne tentera plus jamais de se suicider. Même délirant, le général n’avait jamais perdu son idéal d’honneur militaire. Cet idéal lui a permis de lutter efficacement contre sa tendance suicide. Il avait donné sa « parole d’honneur militaire », lui qui souhaite qu’on lui rende justice sans mépris. Il avait « résisté, retenu par sa parole d’honneur ».

Le général tente en permanence d’échapper à ses ennemis, Il veut qu’on lui rende son honneur qu’il croit perdu : il s’emporte, il maltraite son épouse, il chasse l’objet de sa jalousie au sabre dans les couloirs de son château, etc…Loin de toute passivité, le général ne laisse pas ses ennemis tranquille, il les traque pour le tuer ! Le général agit et lutte. Il est en permanence dans l’espoir de récupérer son honneur. Cet honneur passe par la destruction de son rival. Le délire entier tourne autour de ce refus : je ne suis pas un lâche !

Dans ce cas, l’idéal du moi, son « moi-fort », comme l’indique J. Louys, est présent, il n’a pas chuté, il mobilise le général, il fonctionne et opère comme une barrière contre le suicide. Le général garde toujours espoir, celui d’être rétablit dans son honneur. Cet idéal du moi exerce une contrainte qui empêche le passage à l’acte.

Cet idéal du moi, le « moi officiel, le moi-fort » de J. Louys, n’a pas à être particulièrement développé au cours des entretiens avec Esquirol. L’idéal est là, Esquirol mise sur sa présence et le prend comme appui pour contrer le passage à l’acte.

La clairvoyance d’Esquirol est assez impressionnante : « Donnez-moi votre parole d’honneur militaire » !

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