12/22/2006

Le support de la perte dans le suicide, Esquirol

Après avoir remarqué l’importance de la perte dans le déclenchement du suicide dans les observations d’Esquirol, voir. Il parait utile de se demander qui est le support de cette perte. Dans des cas d’Esquirol, le support de la perte est le sujet. Il le formule par un : « j’ai perdu quelque chose ». Mais, la perte n’est pas toujours formulée de cette façon.

Il y a le cas d’une dame de 32 ans. Elle déclare à son mari « qu’il n’a plus d’épouse », texte.

Un monsieur âgé de 43 ans, s’est « beaucoup fatigué à l’exercice de ses fonctions publiques ». Il pense que « sa femme l’a dénoncé et qu’il est perdu auprès du gouvernement », texte. C’est-à-dire : « le gouvernement m’a perdu ».

Loin de le rassurer sur sa culpabilité à l’égard de sa femme qu’il maltraite, Esquirol souligne sa faute. En creux, Esquirol s’appuie sur l’idéal d’un bon mari qui a des égards pour son épouse. « Quels doivent être vos regrets », lui lance-t-il après une visite de son épouse au cours de laquelle le malade parle aux enfants « contre leur mère ». Esquirol le considère « comme un furieux qui n’a pas de parole ».

La parole pour Esquirol est le fondement de la « commotion morale » qu’il chercher à provoquer chez le patient. Une parole se donne en promesse de tenir un idéal d’honneur, voir. En l’espèce, c’est un idéal conjugal.

Pour ce Mr de 43 ans, Esquirol enfonce son couteau dans la plaie d’un idéal défaillant : « voudriez-vous aggraver encore le fâcheux état où vous l’avez mise ? », lui demande-t-il. Esquirol lui montre sa faute.

Ce qui ne va pas sans rappeler la recommandation de Freud à cet égard. Il explique en effet que l’analyste, n’est pas là pour absoudre[1]. Qu’il s’agit même de mettre cette faute en question. Cela nous rappelle aussi l’importance de l’autopunition dans les premiers écrits de Lacan (sa thèse la paranoïa). Ce dont Esquirol avait l’expérience.

Mme T. a des impulsions infanticides, texte. Elle a l’idée de tuer son nourrisson, elle sent des « craquements dans la tête ». Quand son fils la déçoit, il veut « se faire boucher contre les intentions de sa mère », Mme T. décompense. Enceinte, elle se reproche cette grossesse tardive. Elle craint de ne pas soigner correctement cet enfant. Plutôt que de céder à son impulsion infanticide, elle décide soit de la placer en nourrice, soit de se tuer : « c’est pour prévenir un crime qu’elle veut se détruire ». Une fois l’enfant placé, elle se reproche de « ne point l’avoir chez elle ». Le retour chez elle de l’enfant active ses idées d’infanticide et se idées de suicide : « il vaut mieux que je meure que cette innocente adorée ». La chose se reproduit à chaque fois que l’enfant revient chez elle. En sa présence, elle a « une impression intérieur bien étrange » : « je tressaille sans savoir pourquoi ». Esquirol se reproche aussi d’avoir « abandonné » ses affaires, son ménage et les « aliments qu’elle consomme ».

L’ensemble de ces reproches dessine une énonciation générale que l’on pourrait formuler de la façon suivante : « mes affaire, mon ménage et mes enfants m’ont perdu ».

La formulation en style indirect semble convenir à ces trois cas : « ils m’ont perdu ». Le mari pour la première, le gouvernement pour le second et les enfants pour la troisième. Cette formule semble être l’inverse des précédentes : « j’ai perdu quelque chose », voir. Pourtant, les deux formules, directe et indirecte, sont centrées par l’idée de la perte. Cette idée de perte précède la tendance suicide.

Seul le support de la perte varie. Il est soit dans l’autre ou soit du côté du sujet.


[1] - Freud S., La question de l’analyse profane, Paris, Folio essais, 318, Gallimard, 1985 : « Si notre patient souffre d’un sentiment de culpabilité, comme s’il avait commis un crime grave, nous ne lui conseillons pas de laisse là sa conscience torturée en invoquant son indubitable innocence ; cela il a déjà cherché en vain à le faire lui-même. Au contraire, nous l’avertissons qu’une sensation si forte et si tenace doit nécessairement se fonder sur quels chose de réel qui pourra peut-être se découvrir ».

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