1/29/2007

Le magasin des suicides

Ce livre est assez désopilant [1] !

C’est une sorte « d’anti suicide mode d’emploi ».

Mishima et Lucrèce tiennent un magasin qui fournit tout que ce qui permet de se suicider. Mishima passe son temps à inventer des systèmes de suicide qui évitent « aux gens à corps léger qui se défenestrent de se retrouver par des nuits de tornade ou d’ouragan en pyjama ridiculement échoués dans des branches d’arbre, accrochés à des réverbères ou étalés sur le balcon d’une voisin ». Leur fils Vincent est totalement dans le désir de sa mère Lucrèce : il offre un casque de kamikaze à sa sœur. Comme il se doit Lucrèce veut ce qu’il y a de mieux pour ses enfants : la mort !

La limite de ce genre de vente, c’est le crime. Quand une jeune fille veut prendre plusieurs bonbons empoisonnés, elle pourrait très bien vouloir assassiner son lycée entier.

Tout rate dans cette famille. Même le suicide de leur fille Marylin.

Une jeune cliente achète un bonbon empoisonné qui ne lui fait rien. Une dame a pris une mygale tueuse dont elle en tombe amoureuse. Elle revient et demande des aiguilles. Lucrèce : « je croyais que c’était pour lui crever les yeux ! Eh bien pas du tout, c’était pour tricoter des petites bottines en coton perlé à son araignée qu’elle avait appelée Denise. Elles étaient devenues copines et, d’ailleurs, la dame l’avait en liberté dans son sac ! »

Les clients ont beau acheter ce qui se fait de mieux en matière d’articles de suicide, leur désir leur joue des tours. Les clients peuvent vouloir ne pas mourir quand ils disent qu’ils veulent se suicider.

Le pivot de ce roman, c’est Alan. Le fils raté de cette famille : il voit la vie en rose. A l’inverse de Vincent, il trouve toujours que : « c’est zoli la vie ». Ses parents sont désespérés. Ils ont beau « le forcer à regarder les infos à la télé pour tenter de le démoraliser mais si un avion transportant deux cent cinquante passagers s’écrase et qu’il y ait deux cent quarante-sept morts, lui ne retient que le nombre de rescapés ! »

De fait, Alan va tout faire sauter. Il remplace le poison par des sucreries, il change les parpaings pour noyés par du polystyrène, etc…

Alan parvient peu à peu à inverser l’objet du magasin. Tout comme le désir dont on ne peut présumer par des mots, Alan fait un travail de subversion. Avec les mêmes mots que ceux du magasin du suicide, il en détourne la signification pour l’inverser. Ce n’est plus le magasin du suicide, c’est le MDS « comme on dirait la MJC ». Sa nouvelle devise : « suicidez-vous de vieillesse ! » Mishima, le dernier à résister à l’enthousiasme de son fils, en fait une déprime.

Son apothéose, c’est le moment où le gouvernement veut se suicider à la télévision en direct. Alan leur fournit du gaz hilarant.

Après un épisode au cours duquel Mishima entre dans une colère noire dans laquelle il menace de tuer son fils, toute la famille se retrouve à tenter de sauver Alan de la mort. En effet, Alan s’est jeté par-dessus le rebord de la fenêtre, « par accident ». Vincent le rattrape avec un bandage auquel Alan s’est raccroché. Mais, après un moment, Alan ouvre la main !

Ce suicide final d’Alan est un peu énigmatique. Il est juste possible de remarquer que l’inversion est complète. Ceux qui parlaient de mort vivront. Celui qui parlait de la vie mourra.

Il y a deux actes à cette fin.

Premièrement, tous sauf Alan menacent de se tuer à leur façon. « Ils vont se cadavériser ». Alan refuse l’inéluctable et tombe pas la fenêtre. Ne voulant pas les perdre, il doit se perdre.

Deuxièmement, la chute d’Alan oblige les autres à « tout abandonner sur les dalles » et à le remonter par un ruban (Alan n’était pas tombé tout en bas, mais avait chuté sur un perron intermédiaire). Sa famille est rassurée sur l’accident. Dans cette remontée, Alan observe leurs têtes et remarque que jamais il n’a vu son père « réjouit comme il est là », ni sa mère chanter comme ça. Il a l’idée d’avoir accompli sa mission de rendre les siens heureux. Et c’est là qu’il ouvre la main.

Le don de ce qu’il vient d’accomplir ? L’instant de voir que cela ne se peut que sans lui ? Doit-il se perdre à nouveau pour ne pas perdre ces nouveautés ? Pour achever la réussite ?

Alan est-il lacanien ? Le suicide comme seul acte qui réussisse ?


[1] - Teulé J., Le magasin des suicides, Julliard, 2007

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