2/03/2007

Le suicide n’est pas un problème, c’est une question

Michel Cornu est un philosophe de l’éthique. Je compte montrer pourquoi il s’agit de le réfuter quand au suicide.

Cornu a donné une conférence le 2 décembre 2000, dans laquelle il explique pourquoi il considère que le suicide n’est pas un problème, lire. C’est pour lui un mystère qui débouche sur une éthique tragique de l’inquiétude. Pour les mêmes raisons avancées par Cornu, de rigueur dans les termes, je pense que le suicide n’est pas un mystère, ni un problème, c’est seulement une question. A cette question, chacun peut chercher sa réponse.

Cornu veut sortir d’une aporie. Il ne fait qu’entrer dans une autre : le mystère. Cette notion de mystère est très connotée religieuse ! Etonnante confusion pour quelqu’un qui se soucie de ne pas accepter la proposition de Jean Amery sur la mort comme un néant absolu et qui du coup, réfute que le néant puisse avoir une vie. C’est une contradiction. Si mystère il y a, ce mystère vit. Donc, par le choix de ses mots, Cornu donne une vie à la mort ce qu’il vient pourtant à peine de dénier. Cela le conduit alors à reconnaître l’existence d’une vie au-delà de la vie, ce qu’il combat.

Cornu s’appuie sur Ricoeur, Soi-même comme un autre [1], et sa distinction idem et ipse. D’une part, l’identité, les mêmes intérêts pour tous. L’idem renvoie à une norme. D’autre part, le sujet. L’ipse renvoie à l’unique comme non identifiable à une norme.

Cornu fait un résumé intéressant, concis et clair, de l’histoire des positions philosophiques sur le suicide. On peut juste s’étonner de ne pas y voir figurer Camus dont on sait la pétition de principe : le suicide est le seul problème philosophique « sérieux ». La réponse de Camus étant de refuser que le suicide résolve l’absurde. Pour lui, il s’agit d’affronter l’absurde par la révolte. Pour Cornu, la réponse à l’absurde, ce serait plutôt l’inquiétude. Cela vaut la peine de lire l’article de Cornu. Sur l’exposé de ces références philosophiques, il est limpide et éclairant.

Pour Cornu, il y a trois volets à l’histoire philosophique de la question de suicide :

1- La condamnation du suicide au nom du bien. Par Platon, Aristote, Augustin et Thomas d’Aquin. Ces auteurs condamnent le suicide qui est un acte par lequel un bien est retiré. Une soustraction à la cité ou à Dieu, au choix. Saint Augustin consolide cette position au nom de l’espoir d’une vie meilleure après la mort. Ce serait une prise de position qui privilégie l’idem.

2- La défense du suicide comme seul acte sauvegardant la liberté de l’homme. Pour rester maitre de soi-même, tu ne dois pas vivre sous la nécessité, il n’y a aucune nécessité à vivre et la mort est méprisable. Il s’agit des stoïciens. Cette position privilégie l’ipse

3- le suicide n’est ni un bien, ni un mal. Car on ne peut décider pour un autre. C’est la position de Kierkegaard qui a la faveur de Cornu.

Cornu souligne que les deux premières positions, platonicienne et stoïcienne qui « prétendent savoir ce qu’est le suicide et le sens d’un tel acte ». Il avance la notion de « suicide larvé ». Cette idée qui consiste à valoriser la vie et en même temps « se rendre incapable d’exister par déni de la mort ».

Avec Kierkegaard, il y a une inversion de la vie et de l’existence. « J’existe avant de penser et c’est parce que l’existence est problématique que je me mets à penser ». Face à cette angoisse, sa réponse est l’inquiétude. Il s’oppose en cela aux sciences qui prétendent détenir lé vérité de l’être humain.

Développant cette position, Cornu peut affirmer que « le suicide n’est pas un problème pour lequel on trouve ou ne trouve pas la ou les solutions. Le suicide, en tant qu’évènement individuel et universel est de l’ordre du mystère qui, lui, n’a pas de solution juste ou fausse ». Cornu oppose l’évènement du suicide au phénomène-suicide. L’homme se pose la question du sens quitte à trouver qu’il n’y en a pas. Il n’est pas possible de fonder une théorie du suicide, c’est une aporie. Car cette question nous met face à un mystère et non pas face à un problème auquel il s‘agirait de trouver une solution.

J’aime beaucoup cette façon qu’a Cornu, à la suite de Kierkegaard, de rejeter les certitudes, d’écarter un savoir « à priori » sur le suicide, de laisser la question ouverte. Oui, c’est important de ne pas se précipiter dans les solutions.

Qu’en sais-tu ? C’est la question à poser pour ne pas tomber dans une dramatique et mortelle résorption.

Bon, c’est peut-être le moment de marquer une pose avant de reprendre ces questions dans un prochain billet. A bientôt !


[1] - références

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