4/15/2007

Freud a réglé la question génétique en deux coups de cuillères à pot !

Le suicide est génétique ?

Cela voudrait dire que nous pourrions le recevoir de nos parents ?

Il serait possible de le transmettre à nos enfants ?

Cette question est tout particulièrement angoissante pour chacun d’entre nous. Depuis que Sarkozy a lancé ce slogan terrifiant, j’ai l’impression que beaucoup de personnes l’ont entendue. Les entretiens psy en sont saturés. Sarkozy se rend-il compte à quel point la peur monte à ce propos ?

Un exemple au début de cette semaine. Je reçois une dame dont la mère vient de se suicider. Très angoissée, elle demande : « Monsieur, est-ce que c’est génétique ? Il y a des similitudes. C’est ravageur. Ma mère s’est jetée du haut de sa fenêtre. Elle n’a pas voulu faire comme ma tante qui s’était laissé mourir de faim. Ma tante est morte dans mes bras, c’est affreux. Je m’en occupais. Elle m’a attendue pour ça, dans les dix minutes de mon arrivée, elle est morte. Est-ce que mes enfants vont l’avoir aussi ? Est-ce que je l’aurai si ma mère en est morte ? »

Cette dame a été élevée par sa tante, elle se sentait proche de sa mère. Les motifs d’une identification à ces femmes mortes sont nombreux. N’oublions pas que nous nous construisons par ce que nous voyons, entendons et percevons de l’autre. Ce qui nous vient en premier, et très tôt, se trouve à la maison, puis à l’école. Au-delà des gènes.

Certains disent : « environnement ». Sans vouloir en tenir compte…

Que dire à cette dame ?

Madame, faites un prélèvement ?

Ne concevez pas d’enfants ?

Ou alors : Madame, en quoi la mort de votre tante et votre mère vous mobilise-t-elle autant ? Que vous ont-elles « transmis » d’autre ? Quelle en est votre part ?

Freud s’est montré assez radical quand à l’hérédité des névroses. La névrose peut en effet se « transmettre ».

Mais, pas par les gènes ! Par identification.

Au début de sa réflexion, Freud pensait que cette transmission était réelle. Un parent abusait sexuellement de sa progéniture (son fils) qui, à son tour abusait d’un autre parent de la génération suivante (un neveu). Il écrit ça dans une lettre à Fliess dans les années 1890. Prenant la peine d’un petit schéma, il décrit une transmission de la névrose sur trois générations, estimant même que ce serait peut-être une des conditions de l’apparition de cette névrose.

Puis, Freud renonce à la théorie de l’abus sexuel pour celle du fantasme. L’abus a pu été fantasmé.

Freud est très clair sur l’hérédité dès 1896[1]. A cette époque, Charcot attribuait un rôle important à « l’hérédité nerveuse » dans la théorie étiologique des névroses, « les autres influences étiologiques ne devant aspirer qu’au nom d’agents provocateurs ». En particulier pour l’hystérie.

En somme, pour les psys de l’époque (Charcot, Janet, etc...), c’était : les gènes d’abord, l’environnement après, comme avec Sarkozy.

Mais, Freud entretient « quelques soupçons ».

Ses objections sont tirées de faits :

- des affections jugée héréditaires ne sont pas neurologiques, mais dérivent d’altérations post-infectieuses

- on accepte des affections nerveuses de la famille sans en compter la fréquence et la gravité. Sans distinguer des transitions et des degrés de disposition. Sans voir qu’aucune famille n’y échappe tout à fait.

- On exclut les névroses acquises par principe et non pas sur la base d’études statistiques. Mais il existe des névroses acquises par des hommes non prédisposés.

- Même dans la syphilis ont a appris à reconnaître des influences dont la collaboration est indispensable que l’hérédité à elle seule ne saurait produire.

- La neurasthénie peut se produire chez « l’homme parfaitement sain de famille irréprochable » (…) si elle se bornait aux gens prédisposés, elle n’aurait jamais gagné l’importance et l’étendue que nous lui connaissons »

- Il faut distinguer l’hérédité « similaire » et « dissimilaire » : si la pathologie est strictement la même pour les deux parents, elle est « similaire ». Si les membres d’une famille ont des pathologies diverses, elle est « dissimilaire », à côté d’eux et dans la même famille, il y a des membres qui restent sains, et la théorie de l’hérédité ne dit pas pourquoi cette « personne supporte la même charge héréditaire sans y succomber ». Ni pourquoi une personne « aura choisi, parmi les affections qui constituent la grande famille névropathique, une telle affection nerveuse au lieu d’en avoir choisi une autre ». Donc, « il y a lieu de soupçonner l’existence d’autres influences étiologiques », sans cette étiologie spécifique, « l’hérédité n’aurait pu rien faire »

Donc, l’hérédité n’est pas le sésame qui donne toutes les explications possibles et définitives à l’explication du suicide. Il faut y rechercher d’autres influences que génétiques et que les gènes n’expliquent pas.

Évidement, cela demande un peu d’effort, de la lucidité. Et une bonne dose d'honnêteté et de courage humain !


[1] - Freud S., « L’hérédité et l’étiologie des névroses » (1896), Névroses, psychoses et perversions, Paris, PUF, 1973, p. 47-59

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