Lacrimae rerum, un des livres de Slavoj Zizek, est assez cocasse en certains passages...
Plusieurs de ses commentaires sont d’une joyeuse grivoiserie. Je ne suis pas certain que l’auteur s’en aperçoive. Dans l’une de ses notes de bas de page (note 113, p. 146-147), Zizek se livre avec gaieté à une sorte de « réecriture » de toute l’histoire de la philosophie à propos de la sexualisation généralisée du monde. C’est assez réjouissant !
Vu le sujet de son livre (l’effroi du réel ou comment faire avec), un sujet plutôt grave, on en pleure de rire. Ce que Zizek voulait clairement indiquer dans le titre de son livre. Mais son propos n’écarte pour autant pas le sérieux de la question.
Je me suis alors demandé ce que serait une note sur le suicide dans le style de Zizek. En guise de jeu philosophique. Mieux vaut en rire ! Je vous prie d’excuser ce triste plagiat….. Alors, voilà ce que cela donnerait :
Pour autant que l'on accepte l'idée de faire de la division du sujet la référence ultime, il est tentant de réécrire toute l’histoire de la philosophie moderne en ces termes:
- Descartes: « Je me suicide, donc je suis », autrement dit c'est seulement dans l'activité suicidaire que j'expérimente la plénitude de mon être (la réponse « décentrée » de Lacan à cette affirmation aurait été: « Je me suicide là où je ne suis pas, et je ne suis pas là où je me suicide », autrement dit ce n'est pas moi qui meurt, mais « ça meurt » en moi)
- Spinoza: à l'intérieur de l'Absolu en tant que Mort (mortus sine natura), il faut distinguer, selon la logique de la distinction entre natura naturans et natura naturata, le passage à l’acte actif de l'objet suicidé - il y a ceux qui se suicident et ceux qui sont suicidés.
- Hume introduit ici le doute empiriste: comment savons-nous que la mort comme relation existe? Nous faisons juste l'expérience d'objets dont les actions semblent mortelles.
- La réponse kantienne à cette crise: « les conditions de possibilité du suicide sont en même temps les conditions de possibilité des objets [du] suicide »
- Fichte radicalise alors la révolution kantienne: se suicider est une activité inconditionnelle autopositionnante qui se divise en suicidant et objet suicidé, autrement dit c'est le fait même de se suicider qui constitue son objet, le suicidé
- Hegel: « il est crucial de concevoir la Mort non seulement comme Substance (la pulsion substantielle qui nous envahit), mais également comme Sujet (comme une activité réflexive qui prend place au sein du sens spirituel) »
- Marx : mieux vaut réellement se suicider plutôt que de faire de la philosophie idéaliste masturbatoire, autrement dit, comme il le dit littéralement dans L'Idéologie allemande, la vraie vie, la vie réelle, est à la philosophie ce que le suicide réel est à la tentative de suicide
- Nietzsche: la Volonté est, dans sa forme la plus radicale, Volonté de mort, qui culmine dans l'Éternel Retour du « j'en veux plus », de la mort se poursuivant éternellement - Heidegger: de la même manière que l'essence de la technologie n'a rien de « technologique », l'essence du suicide n'a rien à voir avec la mort en tant que simple activité ontique; ou plutôt, « l'essence du suicide est la mort de l'Essence elle-même », ce qui veut dire que ce n'est pas seulement nous, humains, qui tuons notre compréhension de l'Essence, c'est l'Essence qui est déjà en soi tuée (inconsistante, se retirant, errante) - Et cet aperçu de la manière dont l'essence elle-même est tuée, nous conduit en fin de compte à l'affirmation de Lacan: « le sujet est divisé »
A rebours, il faut voir dans la révolution freudienne le geste exactement opposé : c’est l’univers idéologique prémoderrne qui « personnalisait » l’univers tout entier, concevant la structure même du cosmos comme une personne, une subjectivité, une tension entre les dieux divers qui se répétait à différents niveaux, de plus en plus élevés, de sorte que la réalité elle-même apparaît comme le résultat de la pensée cosmique. Freud accomplit précisément la désubjectivation radicale de l’univers : la psychanalyse tire les conséquences ultimes du « désenchantement » moderne de l’univers.
La notion freudienne d’inconscient pointe exactement dans cette direction : le problème n’est pas de nous affirmer, mais ce que nous pensons quand nous pensons effectivement être nous-même.
La thèse lacanienne selon laquelle « le sujet est divisé » signifie essentiellement que, pendant que nous agissons, nous avons besoin d’un supplément fantasmatique, nous devons penser à quelque chose d’autre (le fantasme de notre mort).
La pensée de Zizek est, comme vous le voyiez, très féconde ! Désolé….
Zizek S., Lacrimae rerum, Amsterdam, poches, Paris, 2005
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