12/26/2006

Le modèle de Jacques Louys

Jacques Louys a rédigé une analyse[1] du suicide qui parait importante quand à la définition de ce qui est en jeu lire. C'est un modèle qu'il vaut la peine d'étudier.

Cet auteur fait d’abord remarquer qu’il existe un défaut d’élaboration psychopathologique en matière de suicide : « très peu de professionnels travaillent aujourd’hui réellement la clinique du suicide ». Ce qui est un fait. A déplorer ! Et c’est l’une des raisons de mon blog.

Puis, J. Louys s’attaque à la confusion qui règne dans le texte de la conférence de consensus d’octobre 2000 sous l’égide de l’ANAES, intitulée : La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge. Ce qui rend ce texte inutilisable en pratique clinique.

Oui ! Le compromis qui règne dans les conférences de consensus est établi au prix de la psychopathologie. Pour l’Anaes, mieux vaut être d’accord que d’y comprendre quelque chose !

Face à cette confusion, l’auteur établit des distinctions claires et précises sur la base de celles d’Esquirol, en 1830. Et il est malheureusement tout à fait possible que nous n’ayons pas beaucoup progressé depuis Esquirol.

A la lecture de J. Louys, il apparaît donc une série de couples distinctifs : aigu/chronique, impulsif/affectif, symptôme/trait, suicidaire/suicidant. J. Louys s’efforce d’inscrire ces couples dans une structure roulant sur deux rails parallèles en répartissant de chaque côté l’un des termes de ces couples distinctifs.

C’est une sorte de rangement général. Chaque trait est placé dans l’une des deux principales catégories : le suicide névrotique et le suicide psychotique.

a- le suicide névrotique : il est aigu, impulsif, le suicide est symptomatique du suicidant

b- le suicide psychotique : il est chronique, affectif, le suicide est un trait du suicidaire

La classification ainsi aménagée permet de souligner l’aliénation fondamentale du suicide. Premièrement, le suicide n’est pas un meurtre. Il ne peut être un acte volontaire. L’aliénation en question se base sur la logique du tout ou rien, sur la base d’une exclusion fondamentale. Soit le suicide est volontaire et ce n’est pas un acte. Soit, c’est un acte et il n’est pas volontaire. Dans les deux cas, ce n’est pas un meurtre.

Si le suicide est un acte, il relève de la première série, névrotique : ce sont des motions « secrètes » qui prennent le dessus, le sujet n’y a pas pensé, il ne s’y reconnaît pas comme l’auteur de l’acte. Le suicide n’est pas « contrôlé », il échappe au sujet. C’est le modèle d’un acte manqué névrotique, à ce titre involontaire.

Si le suicide est volontaire, il relève alors de la seconde série, psychotique : c’est un suicide préparé, ruminé, dont le modèle est celui de la mélancolie. Il est délibéré et volontaire, mais à ce titre, c’est un laisser-mourir, un abandon, un « arrêt de l’action de vivre ». Le sujet arrête simplement de lutter contre ce qui pourrait le tuer et il se fait « assister » par un autre. Il laisse faire, il n’est pas l’auteur, ce n’est pas lui qui agit. A ce titre, ce n’est pas un acte.

L’approche de J. Louys a ceci d’intéressant qu’elle se veut structurée par ces exclusions nominales. Elle est sous-tendue par une conception simple de la psychopathologie. Le sujet se construit sur la base de l’opposition entre son « moi secret » et son « idéal du moi ». Il y a ce que le sujet se dit côté jardin, en privé, de façon intime, en retrait des autres. Soit le « moi secret ».

Et il y a l’image idéale qu’il veut donner de lui en public, côté cours, auprès des autres. Soit « l’idéal du moi ».

Cette opposition sert d’appui à la logique du tout ou rien. Quand l’idéal s’effondre, le privé prend le dessus et c’est un suicide volontaire. Quand le sujet veut privilégier l’idéal, ce qui lui est privé ne parvient pas à s’exprimer hormis dans l’acte involontaire du suicide.

Sur cette base, J. Louys en vient à formuler des recommandations dans la prise en charge du suicide. C’est là que la démarche classificatrice semble donner ses meilleurs effets. Dans le cas de l’acte involontaire, il s’agirait de « soutenir », « reconstruire » et « travailler » le « moi secret », tout en maintenant « l’énigme de l’acte impulsif ». Dans le cas d’une volonté qui ne serait pas un acte, il s’agirait « développer » le « moi officiel, le moi-fort » pour le « tenir posturalement » et « se définir aux yeux des autres », lire.

Ce modèle est pourtant assez critiquable. Son nominalisme induit une exclusion paradoxale. C’est un modèle qui se passe de l’inconscient et de la pulsion !

Car, en somme, le « moi secret » ne serait pas assez secret et serait lui-même dépassé, dans le suicide, par quelque chose d’encore plus secret. De même, le « moi fort » ne serait pas assez fort, et il serait, dans le suicide, à son tour écrasé par quelque chose de plus fort que lui. Dans les deux cas, quelque chose que le sujet ne sait pas exister et qu’il s’agirait de travailler. Ce que le sujet ne sait pas : ce qui est insu, l’inconscient !

Enfin, J. Louys ne définit pas le meurtre qu’il écarte de principe. S’agit-il des actes suicide kamikazes ?

Il me semble pourtant que l’idée d’une approche structurale est effectivement ce qui manque dans l’approche du suicide. J’ai déjà eu l’occasion de commenter de telles approches, voir, et je projette d’y contribuer, voir. Comme le montre J. Louys, ce type d’approche permet d’avancer à la fois dans la clinique e

Alors, pourquoi écarter l’inconscient et le meurtre ? Pourquoi ne pas tenter de modéliser quelque chose qui intègre en son principe le désir de meurtre, la pulsion et l’inconscient ?


[1] - « Clinique et prise en charge du suicide », 10 10 2004, texte

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Interessant, de ce que j'ai pu lire, cela parait un modele acceptable
Sinon, dsl mais j'ai pas trop compris la fin ...