3/23/2007

Le suicide comme accident du travail

A consulter au sujet de la reconnaissance du suicide comme accident du travail sur le blog de Jean-Michel Dorlet : « Tentative de suicide hors travail et harcèlement moral : accident du travail et faute inexcusable de l’employeur ».

A lire aussi ce témoignage de la veuve d’un employé du Technocentre de Renault.

Cette reconnaissance parait bien difficile à obtenir et dépend de pas mal de conditions. Alors que l’entourage est déjà accablé par la perte. L’entourage doit, de plus, apporter des preuves !

Ci-dessous, le post de Jean-Michel Dorlet.

Que Mr Dorlet m’excuse cette large citation. Son texte est majeur, clair, informé et précis.

10 mars 2007

Tentative de suicide hors travail et harcèlement moral : accident du travail et faute inexcusable de l’employeur

Jean-Michel Dorlet

Cour de Cassation, 2nde Chambre civile, 22 février 2007, M. Y c/ M. X et CPAM de la Sarthe, n° de pourvoi : 05-13771

Thèmes : L 411 du Code de la sécurité sociale, harcèlement moral, tentative de suicide, suicide, accident du travail, obligation de sécurité de résultat, faute inexcusable, responsabilité civile de l’employeur

Tout d’abord l’arrêt du 22 février 2007 opère une inédite synthèse sur la possibilité de faire reconnaître la qualification d’accident du travail à un suicide ou à une tentative de suicide. La conclusion de la Cour de Cassation n’a pas manqué de marquer les esprits : si l’acte « est survenu par le fait du travail », il peut acquérir la qualification d’accident du travail, quand bien même il aurait eu lieu au domicile, à l’occasion d’un arrêt de travail… (1ère partie).

Ensuite, la décision tire toutes les conséquences de la jurisprudence du 22 juin 2006 en considérant que le comportement de l’employeur est constitutif d’une faute inexcusable, faute d’avoir respecté l’obligation de sécurité de résultat auquel il est tenu, notamment en matière de harcèlement. Au delà de l’indemnisation forfaitaire, conséquence de la reconnaissance comme accident du travail, sa responsabilité civile est donc bien engagée (2nde partie).

Pour en savoir plus : 1. La qualification d’une tentative de suicide ou d’un suicide comme accident du travail

La reconnaissance comme accident du travail d’une tentative de suicide ou d’un suicide se heurte à de nombreux obstacles. La circonstance qu’ils aient eu pour origine un harcèlement moral modifie, cependant, les solutions juridiques à retenir.

Les conséquences de cette reconnaissance sont importantes : prise en charge par la sécurité sociale au titre de l’accident du travail ; faute inexcusable de l’employeur susceptible d’être sanctionnée (art. L. 452 -1 du Code de la Sécurité sociale). C’est pourquoi,cette qualification a déjà été recherchée, parfois avec succès (Tribunal des Affaires de Sécurité sociale des Vosges, à Epinal, 28 février 2000).L’article L 411 du Code de la sécurité sociale qualifie « [d’]accident du travail quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant à quelque titre que ce soit pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ». Il peut en être déduit une présomption simple d’imputabilité au travail pour « l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail ». Le caractère professionnel de l’accident n’aura pas à être démontré. Les juges du fond apprécieront souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail.

Pour que la présomption d’accident du travail, soit retenue, il faut que tout d’abord que l’acte ait été un fait accidentel et ensuite qu’il ait eu un lien avec le travail.

Ainsi, la tentative de suicide va constituer un fait accidentel, dès lors qu’elle aura été soudaine et qu’elle aura causé une lésion corporelle. Cette dernière peut être un dommage physique, mais aussi, dans une conception plus large, un trouble psychique survenu immédiatement ou rapidement après le harcèlement. La soudaineté de l’acte est plus délicate : le harcèlement, étant, par définition, un ensemble d’agissement répétés dans le temps, il faut que l’un de ces agissements ait été déterminant dans le passage à l’acte suicidaire.

Il faut qu’il y ait une relation entre le fait accidentel et le travail. La formulation de l’article L 411 du Code de la Sécurité Sociale permet de prendre en compte le suicide ou la tentative de suicide survenu :

  • sur les lieux et au temps de travail habituels, donc « à l’occasion du travail », à la condition que le salarié ait été tenu par un lien de subordination au moment du travail ;
  • ou bien, mais, comme on va le voir, avec plus de difficultés, en dehors du contexte professionnel, car il sera survenu « du fait du travail ».

Dans le premier des cas, la présomption simple jouera, mais pourra être renversée : l’actualité fournit une illustration de cette situation au travers des suicides successifs ayant eu lieu au Centre de Guyancourt de Renault.

Dans l’affaire jugée par la Cour de Cassation en 2007 (2nde Ch. civ. 22 février 2007, M. Y c/ M. X et CPAM de la Sarthe, n° de pourvoi : 05-13771), c’était la seconde situation qui se présentait. En effet, le salarié avait fait une tentative de suicide à son domicile, pendant un arrêt de travail. Comme le soulignent les juges, l’acte « se produit à un moment où le salarié ne se trouve plus sous la subordination de l’employeur ». En décidant que le salarié avait établi que l’acte « est survenu par le fait du travail », la Cour de Cassation a admis que la qualification d’accident du travail soit retenue. Mais, au préalable, elle exige du salarié qu’il rapporte la preuve que l’état psychique ayant conduit à la tentative de suicide a été la conséquence d’un harcèlement au travail.

L’arrêt amène à s’interroger sur l’existence effective d’une présomption issue de l’article L 411-1 du code de la sécurité sociale, puisque la charge de la preuve repose sur le salarié harcelé ayant voulu mettre fin à ses jours.

Pour écarter la qualification d’accident du travail, il peut être établi, par l’employeur ou la CPAM que la tentative de suicide ou le suicide a été un« acte réfléchi et volontaire de la victime totalement étranger au travail ».

Ainsi, peut être invoqué la faute intentionnelle de la victime (article L 453 – 1 du code de la sécurité sociale). Cependant, la qualification d’accident du travail a été retenue pour un suicide au travail commis dans « un moment d’aberration exclusif de tout élément intentionnel » (Ch. soc., 20 avril 1988, CPAM c/ Mme G. n° de pourvoi : 86-15690).

Par ailleurs, si la tentative de suicide ou le suicide est consécutif au comportement fautif de l’employeur, ce qui est le cas dans l’hypothèse d’un harcèlement moral dont il serait l’auteur, la faute intentionnelle de la victime ne peut plus être retenue.

Ainsi, en matière de suicide consécutif à un harcèlement, il a déjà été jugé que « l’altération de l’état psychologique du salarié, attestée par les témoignages produits et elle-même liée aux vicissitudes des relations professionnelles […], conduit à écarter et, tout au moins à atténuer sensiblement, le caractère volontaire et réfléchi de l’acte suicidaire qui, dès lors, ne peut être considéré comme une faute intentionnelle de la victime au sens de l’article L.453-1 du même Code » (Cour d’appel de Riom, 22 février 2000, B. et autres c/ Société Diamantine et CPAM de l’Allier; confirmée par la cour suprême : Ch. soc. 24 janvier 2002, société Diamantine c/ B. et autres , n° de pourvoi : 00-14379).

Mais c’est l’absence de lien de causalité avec le travail qui permet le plus fréquemment d’écarter la qualification d’accident du travail. Ainsi, des décisions de juges du fond excluant la qualification ont été confirmées :

Quant à la qualification de maladie professionnelle, elle n’est plus aisée à obtenir, car, faute d’inscription au tableau, la preuve du caractère professionnel de la maladie psychique doit être rapportée. Ainsi, a t-il été jugé que le « salarié ne rapporte pas la preuve de ce que l’arrêt de travail soit dû à une brutale altération de ses facultés mentales en relation avec les événements invoqués » et relevant d’un harcèlement moral (2ème Ch. civ. 24 mai 2005, M. X c/ société d’HLM d’Eure-et-Loir, n° de pourvoi : 03-30480).

La suite de l'article est dans le blog de Jean-Michel Dorlet

© Jean-Michel DORLET - 10 mars 2007

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